jeudi 5 novembre 2009

Morceaux de poèmes (Partie 1)

Révolte (Marie Le Franc 1923)

Je déteste ce soir les timides nuances,
Le ton mineur des voix, les airs désabusés.
Je voudrais, de l'éclair d'un cri strident, percer
L'étoffe grise et flasque et lourde du silence.

Je voudrais déchirer et mordre entre mes dents
Le sourire obstiné qui suinte à ma bouche,
Étouffer ma douceur entre deux bras farouches,
Lever ma veulerie aux pointes d'un trident.

Je voudrais revêtir mon corps de rouges loques
Dont la barbare odeur grise mon coeur dolent,
Et sentir là-dessous que les rêves sanglants
Et somptueux entre mes côtés s'entrechoquent;

Descendre dans la rue ainsi qu'un spadassin
En rasant la muraille et le poing à la lance,
Entendre se briser les carreaux du silence
Et la nuit qu'on égorge hurler : À l'assassin!


Pourquoi ? (Cécile Chabot 1939)

Pourquoi m'avez-vous fait une telle cervelle
Ouverte à tous les vents qui tourmentent l'esprit?
Où la science et l'art sont une citadelle
Qu'une étoile illumine et qu'une ombre envahit?
Pourquoi m'est-elle un monde, une obscure planète
Où se cache la Muse au démon créateur?
Alors que, dans mon crâne, un cerveau de fauvette
Eût été plus léger et plus apte au bonheur.

Et pour quelle raison m'avoir donné cette âme
Dont je ne puis sonder l'étrange profondeur?
Où je sens un enfer de désir et de flamme
Côtoyer tout un ciel de paix et de candeur?
Une âme que torture un rêve d'épopée,
Au chant mystérieux, au souffle d'idéal ?
Alors, qu'en ma poitrine une âme de poupée
Eût été moins complexe et m'eût fait moins de mal.


On n'enterre pas le sang... (Rina Lasnier 1966)

On n'enterre pas le sang décharné de la servitude
ni le sang désarmé de l'amour inutilisé;
on ne retire pas le cri de la bouche comme une clef,
on ne suture pas la pierre fissurée d'une soif.
La chaux vive du sang qui n'a point dormi,
tu l'entendras liquéfier la dalle des morts,
traverser ses étapes de neige étouffée
et siffler en remarchant tout son hiver.
On n'enterre pas le talon poudreux de la foudre
ni la fureur tendre du fruit piétiné;
(...)


Brossard, Nicole et Lisette Girouard, Anthologie de la poésie des femmes au Québec, les éditions du Remue-Ménage, Montréal, 1991, p. 50, 86, 99

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire