mercredi 20 mai 2009

Parlant de grève...


La grève du sexe m'a rappelé une autre grève. Celle d'un texte d'Éva Circé-Côté qu'on retrouve dans le livre La pensée féministe au Québec : Anthologie. Je le retranscris ici pour vous en faire profiter :)


* Éva Circé-Côté est une journaliste dans les années 20 qui tient des propos très radicaux pour l'époque. Elle écrit entre autre pour le journal Le Monde Ouvrier une chronique hebdomadaire traitant de sujet intéressant les féministes ou les ouvriers. Toutefois, elle écrit sa chronique sous un pseudonyme masculin, ce qui lui a sans doute permis en fait de s'exprimer plus librement. *


La Grève des Femmes (1919)

Les grèves sont à la mode(...). Pour une grève qui réussit, trois vous éclatent dans la main et les morceaux entrent dans la chair. La grève Vickers n'a pas eu tout-à-fait le succès qu'on en attendait, et combien d'autres ont misérablement avorté sans avoir tenu leurs promesses (...).

Les relations entre patrons et ouvriers sont plus tendues, le tonnerre gronde dans le lointain, un éclair sillonne la nue, un calme chargé d'électricité vous oppresse. On sent que ça vient. Maintenant, sans pronostics avant-coureurs, par un beau soleil, avec un ciel sans nuage, bing! bang! le sinistre vous tombe dessus. Chaque jour, il en surgit une nouvelle, une variété qu'on ne connaissait pas. La dernière à l'horizon, après celle des barbiers, des vidangeurs, c'est celle des femmes mariées, contre leurs maris, le boss de la maison, mais celles-là ont des griefs sérieux. Voici leur prétentions, prenez-en connaissance, et vous verrez si elles ont raison de lever l'étendard de la révolte.

Depuis dix, quinze, vingt ans et plus, nous sommes au service d'un homme qui ne nous paie pas. Nous lui tenons lieu de servante, nous lui donnons des enfants par dessus le marché, et il se fait tirer l'oreille pour nous acheter une robe et un chapeau par année. Si nous n'avions la chance, quand il dort, de lui subtiliser une piastre de temps à autre dans ses poches de pantalon, les petits seraient tout nus comme des enfants Jésus, ils gèleraient comme des cretons sans ce larcin. Si nous voulons une paire de bottines, il faut bouder pendant huit jours, faire brûler les patates et le steak, coucher le nez dans la ruelle, ou bien traîner savates. Notre engagement solennel portait qu'en échange de tout ce qu'une femme donne à son mari et qui n'a pas été stipulé sur le contrat, un mari devait de l'amour à sa femme. Il y a belle lurette que nombre d'époux ont cessé de faire des paiements. Ils nous paient en monnaie de singe et vont faire la bouche en coeur et donner de leur argent à des créatures qui ne nous valent pas, qui ne poseraient pas une pièce à leur fond de pantalon, ni un bouton pour empêcher un scandale comme celui qui s'est produit aux vues animées, alors qu'un polisson a été pris en fragrant délit d'exposer sa personne, un petit accident dû à une distraction et peut-être à sa femme qui est du nombre de celles qui , aujourd'hui revendiquent leurs droits.

Nous travaillons, jour et nuit, sans autre traitement que des bordées d'épithètes honteuses qui sortent de la bouche de notre seigneur et maître, alors qu'il nous "traite" de tous les noms de bêtes à poil et à soie qui existent dans la nature.

Nous sommes lasses de dépenser notre jeunesse, nos forces pour servir ce maître impitoyable, et si, d'ici huit jours il ne nous paie pas un salaire d'au moins vingt-cinq dollars par mois, qui n'est pas exorbitant, nous nous mettons en grève. Nous mettrons la marmaille chez les soeurs grises, et nous flanquons la maison là. Tous les jours, nous sortirons en procession et nous irons aux comités. Nous casserons des vitres, nous aussi. Oh! nous avons assez de beaux pétards parmi nous pour faire un feu d'artifice bien nourri. Et comme nous avons la langue bien pendue, nous en ferons des discours , en veux-tu en v'là! Nous allons nous déboutonner, vous verrez cela ; depuis le temps qu'on endure, vous en verrez trente-six chandelles. Prenez vite vos dispositions, c'est notre ultimatum, payez-nous comme la plus inexpérimentée de vos sténographes, comme un chauffeur d'automobile sans licence, telle une commis d'un magasin général à la campagne, ou bien, nous interrompons notre service, nous changeons de "job", nous louerons des chambres, nous organiserons des tag-day et des kermesses, nous tirerons les cartes, nous ferons les modèles aux expositions de mode, c'est à prendre ou à laisser.

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